Le cinéma, ne serait-il pas plus important que tout ?
C’est vrai, lorsqu’un film très attendu sort enfin, on entend régulièrement :
« Une véritable déclaration d’amour au cinéma ». Or, Babylon en est incontestablement la définition même.
Le cinéma. L’amour de l’art dans toute sa pureté et sa complexité : cette passion qui nous consomme, qui nous consume, qui fait vibrer notre âme, qui fait battre notre cœur plus fort et qui nous offre cette sensation de chaleur intense lorsqu’on y pense. Cette sensation que le temps s’arrête, que plus rien n’a d’importance. Cette sensation que le Cinéma EST une personne.
Avec Babylon, Damien Chazelle nous confirme que nous ne sommes pas seuls à ressentir cette sensation. Il nous chuchote qu’il nous comprend. Qu’il comprend ce qu’on ressent envers cet art si puissant, si réel, mais à la fois incompris et personnel. Damien Chazelle nous offre des images, des sons, des moments, des mouvements de caméra et un scénario pour nous aider à mettre des mots sur notre Amour pour le cinéma.
Combien de fois ai-je hoché la tête en acquiesçant et en souriant lors d’un champ contrechamp où le sujet de la discussion était le cinéma ? Combien de fois j’ai hurlé intérieurement : mais oui ! C’est exactement ce que je ressens ! Combien de fois ai-je eu ce sentiment que le film avait été écrit pour moi ? C’est en ça que Babylon est puissant. Il s’adresse à tous et à toutes tout en vous murmurant des mots de façon très personnelle.
Si le réalisateur avait déjà crié son amour pour le septième et le quatrième art avec Whiplash, La La Land et First Man, il shoot ici dans la fourmilière et s’affranchît du politiquement correct non pas pour faire du sensationnel, mais pour montrer une (dure.) réalité qui nous est lointaine et qui nous échappe. Ces détails, ces aspects, cette temporalité, ces fantômes du passé qu’on oublie, mais qui ont constitué l’histoire du cinéma, et qui lui ont donné naissance, et l’ont fait grandir.
Avec Babylon, il hurle au monde à quel point le cinéma est important, unique, salvateur, destructeur, bizarre, intemporel, évolutif, international, grotesque, bancal, incertain, magique, dangereux, féerique, essentiel. Il s’imprègne en nous et pour certain(e)s, il fait partie de notre ADN.
© Paramount Pictures
Quel mot pour définir Babylon ?
Titanesque. C’est peut-être le mot qui convient le plus au quatrième long-métrage de Damien Chazelle. Aussi (voir bien plus) déjanté que Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese et aussi osé, décalé que certaines scènes de Quentin Tarantino, c’est un rythme de fou furieux soutenu par ce montage parfait qui nous fait soit fusionner avec l’écran, soit éclaté de rire !
Le montage de la scène de l’alunissage dans First Man vous a propulsé sur une autre planète ? Whiplash vous a arraché le souffle et vous aviez l’impression d’avoir couru un marathon ? La La Land vous a fait rêver et voyager à Hollywood ? Apprêtez-vous à être aspiré dans cette spirale infernale, dans cette autre époque avec Babylon et retenez votre souffle : ça – ne – s’arrête – pas !
Parce que la force du long-métrage, c’est de nous emporter dans cette espèce de faille spatio-temporelle où le temps s’arrête. On oublie les personnes autour de nous, leur rire, leur surprise et leur étonnement ne deviennent alors que des sons d’ambiance, des songes résonnant d’ailleurs parfaitement avec toute l’ambiance loufoque du film. Comme si les émotions des spectateurs contribuaient à l’essence du film.
Babylon est une expérience indescriptible. C’est surprenant, c’est inattendu, c’est renversant, c’est hilarant, c’est démesuré, mais également bien plus profond que ça en a l’air.
© Paramount Pictures
Un message puissant.
Le réalisateur nous partage de façon subtilement intime son rapport avec le septième art et ce qu’il en pense. Il nous confie évidemment ses peurs aussi : partir de nulle part, pour devenir une étoile pour finalement exploser.
Mais comme il nous l’est exposé : les âmes qui ont contribué au septième art, à son évolution et à sa marque dans notre société ne seront jamais vraiment oubliées.
Peut-être ne seront-elles plus en tête d’affiche, peut-être que la vague de la gloire sera passée mais elles resteront là, à travers des images, des scènes, des répliques cultes prononcées.
À chaque fois qu’on y pensera, qu’on regardera un film avec leurs noms au casting.
À chaque fois qu’elles seront évoquées dans les discussions des amoureux du cinéma, dans les livres ou les rétrospectives.
Mais… Est-ce assez?
Babylon, lieu de désordre et de crimes : un deuxième sens plus sombre et critique ?
David Lynch nous l’a pourtant répété à plusieurs reprises et notamment avec Mulholland Drive : Hollywood, c’est le rêve qui peut se transformer rapidement en cauchemar.
Quand bien même les grandes stars du cinéma ne seront jamais vraiment oubliées, c’est à travers ses trois personnages principaux que Damien Chazelle dévoile des faits auxquels on ne pense pas forcément, en tant que spectateurs : les conséquences du succès, les conséquences de l’évolution du cinéma, le risque de tomber aux oubliettes, l’hypocrisie du secteur, l’instabilité émotionnelle et ce risque que tout s’effondre à tout moment.
Sous ses aires de démesure, de comédie et de grand, n’importe quoi, Babylon est donc une très grosse critique sur l’industrie du cinéma et d’Hollywood. Le long-métrage est le reflet des peurs et des résultats irréparables et dramatiques que cette industrie peut engendrer.
Manny et Nellie LaRoy veulent faire partie de quelque chose de plus grand. Quelque chose qui dure. Quelque chose de plus important que la vie ! Mais à quel prix ? Pour quelle finalité ?
Les messages derrière le script et le scénario deviennent alors extrêmement intéressants, puissants et ambivalents. Parce qu’aimer, c’est aussi se montrer vulnérable, il en est de même avec l’amour du cinéma.
Sous ses allures rocambolesques et hallucinatoires, Babylon ressemble étrangement à une espèce de confession du réalisateur. Il nous conte avec respect sa dévotion et sa passion pour son art, mais aussi ses doutes, ses craintes, ses illusions, ses rêves inavoués et cette incertitude quant à l’avenir. L’avenir de son métier, mais aussi l’avenir du cinéma en général.
© Paramount Pictures
Une expérience inattendue.
Une chose est sûre : si Damien Chazelle rend un magnifique hommage aux hommes et aux femmes qui ont bâti cet empire du rêve, il a bel et bien marqué l’Histoire du cinéma, lui aussi.
En allant voir le prochain film de Damien Chazelle, on se doute évidemment qu’on ne sera pas surpris par la maîtrise technique qui reste toujours aussi impeccable ; cette incroyable valse de la caméra et ces whip-pan à en perdre la tête, cette photographie aux milles couleurs et chaudes comme un film de Sergio Leone ou encore la prestance de toute l’identité visuelle.
On sait aussi que la bande originale, une fois de plus signée Justin Hurwitz, nous transportera de la première à la dernière seconde.
Mais ce qu’on ne voit pas venir en revanche avec Babylon, c’est que le réalisateur nous attrape et nous retient là où on ne l’attend pas. Au-delà de se prendre cette ode au cinéma de plein fouet, c’est tout un panel d’émotions et de sensations que nous offre Babylon.
C’est cette impression de se rapprocher un peu plus près du cinéma et de tout ce qui le constitue. Cette impression de presque pouvoir matérialiser le septième art et pouvoir le toucher. Cette impression d’avoir l’occasion de se rapprocher de soi-même et de retourner aux origines de notre passion.
Voyager pendant trois heures, rire, écarquiller les yeux, se plaquer la main sur la bouche de surprise, sentir son estomac se tendre de tension, être complètement stupéfait, ahuri même et puis… sentir cette vague d’amour nous envahir et les larmes monter de façon complètement inattendue ; c’est l’effet Babylon !
Damien Chazelle touche de la plus belle des manière le cœur des amoureux du cinéma tout en remerciant ses inspirations, les personnes qui l’ont poussé à devenir réalisateur et faire son art, les films qui l’ont transporté, marqué, influencé et animé.
Par ricochet, on ne peut que ressentir sa dévotion, sa passion, son amour pour cet art, mais également ses peurs et ses doutes les plus enfouis quant au futur.
Un final, un regard et mille émotions.
Damien Chazelle a marqué les esprits notamment à travers sa signature lorsqu’il s’agit de clôturer son œuvre. Ce regard puissant après une course effrénée entre Fletcher et Neiman dans Whiplash, ces derniers mots non prononcés entre Mia et Sébastien dans La La Land ou encore cet échange rempli d’amour et de peine entre Neil et Janet dans First Man. Pour Damien Chazelle, un regard vaut mille mots. Avec Babylon, le réalisateur, réinvente sa propre signature tout en gardant l’essence et l’impact d’un dernier regard bourré d’émotions, échangé avec un art et des millions de personnes.
© Paramount Pictures
Un véritable hommage
Babylon est un hommage si puissant et si profond aux personnalités emblématiques du cinéma, celles et ceux qu’on a oubliés, que nous sommes en train d’oublier, celles et ceux que les inégalités sociales et les discriminations ethniques, raciales et de genre mettent injustement de côté, celles et ceux qui exercent des métiers trop peu connus.
Un hommage à l’Histoire dans son entièreté, un hommage à la puissance de la musique et à ce langage international et intergénérationnel : le septième art.
Vous adorerez ou vous détesterez, mais quoi qu’il en soit, Babylon est une expérience totalement exceptionnelle et unique, portée en partie par la vitalité, la douceur, la folie ainsi que le côté solaire et rayonnant de Margot Robbie et d’un casting en roue libre.
Alors prenez votre souffle, accrochez-vous bien, foncez en salle et surtout, videz vous la tête, oubliez tout, déconnectez vous et profitez du quatrième long-métrage de Damien Chazelle !